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ReconnectToBlossom

Ma maman m’a appris la résilience

Il y a 6 ans, ma maman écrivait sa dernière lettre remplie d’amour et de pardon, avant de se suicider. C’était la fin. La fin de 15 ans de dépression et de nombreuses années d’insoutenables douleurs de dos, faisant de sa vie un combat au quotidien.


Je partage rarement cette partie de ma vie. Chaque fois que je le fais, je perçois - presque toujours - des regards choqués, tristes ou désolés, et une certaine dose de surprise à mon égard quant au fait que je semble être un être humain relativement fonctionnel et heureux - malgré tout cela.


Je ne blâme personne de s’attendre à me trouver brisée, ou du moins marquée de façon visible, par cette perte. La vérité est toute autre. La vie de ma maman, et sa mort, m’ont appris la résilience.


Certes, il m’a fallu des années de thérapie pour comprendre à quel point elle était forte. Pendant longtemps, je n’ai pas été en mesure de le percevoir. Maintenant, je peux. Et, je distingue les fruits de notre difficile parcours ensemble.


Maman et moi, Mai 1986


Ma maman est tombée en dépression alors qu’elle entrait dans la période de la ménopause. Plusieurs facteurs y ont contribué. Le déclencheur a probable été une expérience de harcèlement moral au sein de son travail, mais le terraux a été sans aucun doute son histoire familiale douloureuse. Lorsque ma maman était adolescente, son papa a mis fin à ses jours, et ma grand-mère souffrant elle-même de dépression, ma maman s’est retrouvée à s’occuper de ses petits frères et sœurs. Les enfants de parents dépressifs sont, en moyenne, deux à trois fois plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale - une statistique (1) qui s’est avérée vraie pour ma maman. Mais ce n’est pas tout.


Aujourd’hui, avec mes connaissances sur la ménopause, je suis sûre que c’était un facteur important. Il y a tant de défis auxquels les femmes font face - pendant cette période - qui restent inexprimés, non-dits. À ce stade de notre vie, bon nombre d'entre-nous souffrons silencieusement d’un état dépressif (2). Que ma maman ne soit jamais re-devenue telle qu’elle était quand j’étais petite, à savoir une maman heureuse, aimante et attentionnée, est, très certainement lié à cela.


Alors qu’elle commençait à souffrir de dépression et à se sentir « moins femme », j’ai eu mes premières règles. Mon corps évoluait d’une manière incontrôlable, les hormones me poussant vers la prochaine étape de ma féminité, alors que ma maman pouvait ressentir qu’elle s’en éloignait. J’avais désespérément besoin d’une figure féminine forte pour m’aider à grandir en tant que femme, pour m’aider à relever les défis de mon adolescence. Au lieu de cela, je ne voyais que faiblesse, larmes et plaintes. Voir ma maman devenir de plus en plus triste m’a amenée à ‘manger ma douleur’ la nuit, en grignottant des biscuits cachés sous mon oreiller. Et je suis devenue de plus en plus rancunière : j’avais désespérément besoin de ma maman, mais je devais devenir la sienne. Pendant de nombreuses années, cela m’a mis en colère, tellement en colère.


La colère de l’enfant blessée est devenue un mur entre nos féminités. Je ne pouvais pas voir combien de force et de résilience elle nous montrait, à moi et au reste du monde, simplement en restant debout ; déprimée mais en lutte après avoir perdu tant d’êtres chers du fait de suicide ou de maladies, après avoir lutté contre un divorce douloureux, et avoir vu ses deux enfants adultes quitter le nid et de nombreux amis s’éloigner, repoussés par les traits de caractère difficiles causés (ou exacerbés, difficile à dire) par son état.


Au contraire, tout ce que je voyais, c’était combien elle échouait en tant que mère. Et j’avais peur de porter en moi la même graine destructrice - mes gènes rendant plus probable que je devienne comme elle, triste et seule. Alors je me suis construite en opposition à elle : essayant d’être tout ce que je considérais qu’elle n’était pas.


Un an avant la mort de ma maman, j’ai fait une retraite de yoga qui a changé ma vie, en créant une nouvelle perspective non seulement sur mon avenir, mais aussi sur mon passé et mon présent - et par extension m’aidant à voir ma maman sous un nouveau jour.


Durant cette retraite au cœur de la campagne française, je me suis sentie prise au piège. La femme qui partageait ma chambre me rappelait tout ce que je détestais chez ma mère. Cette femme venait de perdre sa fille, qui s’était suicidée. De la même façon que ma mère déchargeait sa tristesse sur les autres, cette femme avait dès les premiers instants déversé la sienne sur moi. Pendant la première nuit dans notre petit chalet au milieu des bois, elle a eu une crise d’asthme. L’inhalateur dans mon sac lui a très probablement sauvé la vie.


Le lendemain, j’ai demandé à changer de chambre – seulement pour me rendre compte que cette cohabitation n’était pas du tout prévue. Une erreur que j’avais faite le jour de notre arrivée nous avait réunies. Cette expérience, dans son intégralité, a déclenché une forte urgence à faire la paix avec ma mère : je n’étais pas obligée de me sentir piégée, je pouvais choisir de me guérir, et ainsi de guérir notre relation.


Je suis reconnaissante pour beaucoup de choses dans ma vie, mais faire la paix avec ma maman avant qu’elle ne meure est probablement ce dont je suis la plus reconnaissante. Les deux dernières fois où je l’ai vue, la seule chose que j’ai pu ressentir pour elle était de l’amour inconditionnel et de la compassion. Quand elle s’est suicidée, le fardeau du regret n’est pas venu alourdir ma tristesse.


Sa perte a créé un vide dans mon cœur. J’ai essayé pendant longtemps de le combler en travaillant beaucoup trop, en ne me reposant jamais. Mon incroyable coach m’a aidée à me réapproprier ce vide comme une part de moi, pour me donner la capacité de m’arrêter, de respirer et de guérir. J’ai réalisé que cet abîme sera toujours là. Il fait partie de moi. C’est un endroit qui m’invite à l’introspection. J’y dépose mentalement des fleurs, y accroche une guirlande de lanternes, et de temps en temps, tire une chaise invisible juste devant. C’est ma façon de discuter avec le vide et de me reposer dans son silence.


Dans ce silence, je vois ma maman comme la femme qu’elle était avant de devenir mère. Bizarrement, sur la plupart des photos d’elle accrochées dans mon appartement, elle a le même âge que moi maintenant - la mi-trentaine. Pour une raison inexpliquée, ce qui reste dans mon cœur est cette image de femme, pas celle de mère. Parce que pendant la majeure partie de ma vie, elle n’a pas été la mère dont j’avais besoin, et ma frustration ne m’a pas permis d’apprendre à connaître la femme.


C’est seulement après l’avoir perdue que j’ai réalisé que je ne l’avais pas vue pour ce qu’elle était vraiment, mais exclusivement pour ce qu’elle n’avait pas pu être - pour moi. Il y a quelques années à peine, j’ai commencé à demander aux membres de ma famille et à ses amis proches qui ma maman avait été pour eux. Ce sont leurs souvenirs d’elle qui ont commencé à rendre les contours de la femme vivante et respirante avec ses espoirs, ses rêves et ses talents moins flous.


Je ne saurai jamais qui elle était vraiment. Mais après m’être occupée de ma colère vis-à-vis de ses ‘échecs’ en tant que mère, j’ai réalisé à quel point elle était forte et résiliente. Et que même son tout dernier acte était un acte d’amour - elle ne voulait plus être un fardeau pour nous.


Après m’avoir rendue témoin de ses 15 années de dépression et finalement de son suicide, après qu’elle m’ait aimée si fort, ma maman m’a donné, sans le savoir, l’un des dons les plus puissants q’un parent puisse offrir : la résilience.


Peu importe ce qui m’arrive, je sais pouvoir le traverser, en tirer des leçons, grandir et ressentir à nouveau le bonheur. Cette certitude profondément enracinée me porte à travers la vie.


(2) Une étude publiée en 2010 conduite sur un échantillon de 685 femmes agées de 45 à 59 ans montre que 41,8% des femmes ménopausées et en péri-ménopause participant à l'étude souffrent de symptômes dépressifs. Dans une autre étude publiées en 2006, des chercheurs du Harvard Study of Moods and Cycles ont recruté des femmes en pré-menopause agées de 36 à 44 ans et sans antécédents de dépression majeure, et les ont suivies pendant 9 ans pour détecter de nouvelles apparitions de dépression majeure. Ils ont découvert que les femmes entrant en périménopause étaient deux fois plus susceptibles de développer des symptômes cliniques de dépressions significatifs que les femmes qui n'avaient pas encore entamé leur transition vers la ménopause. Ce sujet manque encore cruellement de recherche, comme beaucoup de problématiques de santé mentale ou physique auxquel.le.s font face les femmes et les personnes qui menstruent.


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